Histoire & culture / Geschichte und Kultur :
Les Laurel et Hardy de la toponymie mosellane.
« C’est moi Laurel
C’est toi Hardy
C’est toi le gros et moi le petit
C’est moi Laurel
C’est toi Hardy
Et nous sommes de bons amis. »
Cette chanson qui résume si bien le célèbre duo comique du XXe siècle, sert de fil conducteur à cet article.
Parmi les 725 communes de Moselle, quelques-unes sont des Laurel et d’autres des Hardy, si l’on considère le qualificatif gros au sens de grand.
Nous partons de l’idée que le nombre d’habitants a pu être déterminant à la naissance des toponymes des lieux habités.
En Moselle, la toponymie n’est jamais simple comme le montre, entre Forbach et Sarreguemines, sur la rive gauche de la Sarre, l’exemple de la commune mosellane de Grosbliederstroff (3000 habitants).
Ce toponyme, imprononçable pour certains, se compose de trois éléments : Gros, blieder et stroff.
- Gros vient de l’allemand Gross, qui signifie « grand ». Les Allemands donnent à Carolus Magnus, Charlemagne, l’appellation Karl « der Grosse ». Pour les Français, il est Charles « le Grand ».
- blieder rappelle le nom d’une personne germanique, Blitharius, une personne importante souvent à l’origine de la fondation du lieu.
- stroff est la francisation de dorf, village en allemand.
En résumé, Grosbliederstroff est le grand village de Blitharius.
La singularité du toponyme tient au fait que la commune fait face, sur la rive droite de la Sarre (Saar en allemand), à sa voisine allemande, Kleinblittersdorf, qui se traduit par le petit village de Blitharius, Klein signifiant petit.
L’importance de la population a-t-elle présidé au choix des qualificatifs ? Aujourd’hui, Kleinblittersdorf, avec 11 000 habitants est plus « grande » que Grosbliederstroff qui n’en compte que 3300.
Pendant des siècles, les deux entités ne formaient qu’un seul et même village. Elles étaient de bons amis. Trois conflits, dont deux guerres mondiales, en ont fait des ennemis héréditaires. Sous l’Annexion, un premier pont est construit en 1880, mais il est détruit au début de la Seconde Guerre mondiale. Maudite soit la guerre ! Ce n’est qu’en 1964 qu’un nouveau pont relie les deux communes, remplacé par une passerelle en 1993 que les Français nomment Pont de l’amitié et les Allemands, Freundschaftsbrücke. Un pont est tellement plus beau qu’un mur… Les bons amis deviennent des amis de toujours.
En aval de la Sarre, à hauteur de Völklingen, mon lieu de naissance, Großrosseln (« Grande-Rosselle » en allemand) fait face à Petite-Rosselle. Si la ville sarroise compte 8000 habitants, la commune mosellane en dénombre 6300.
Proche de Faulquemont, Grostenquin (600 habitants) tire son toponyme du nom d’un gallo-romain, Tannius. Petit-Tenquin (220 habitants) se situe 10 km plus à l’Est. Grostenquin a été une base aérienne canadienne de l’OTAN de 1952 à 1964.
Dans le Pays de Bitche, Gros-Réderching (1350 habitants) doit son nom au duc Roderich, qui y aurait eu sa résidence. A 5 km de là, Petit-Réderching est légèrement plus peuplée, avec 1450 habitants. Mes recherches ne m’ont pas permis d’établir de lien entre les deux communes.
Dans la vallée de l’Orne, Moyeuvre-Grande (7500 habitants) est beaucoup plus peuplée que sa voisine, Moyeuvre-Petite, qui ne compte que 450 habitants.
Il arrive que Hardy soit seul : Breistroff-la-Grande, village de 760 habitants, proche de la frontière luxembourgeoise, ne peut être comparée à Breistroff-la-Petite, cette dernière n’existant pas…
Il en va de même pour Hettange-Grande (7800 habitants), au nord de Thionville.
Il arrive aussi que Laurel soit seul : c’est le cas de Bézange-la-Petite, commune de 97 habitants seulement, proche de Vic-sur-Seille, dans le Saulnois. Sa toponymie vient d’un nom de personne germanique : Biso ou Beczo.
C’est aussi le cas de Petit-Ebersviller, rattaché à Macheren en 1811. Macheren-Petit-Ebersviller compte 3000 habitants. Cette commune, proche de Saint-Avold, où mon arrière-grand-père Jean-Nicolas Schneider, épousa, en 1871, mon arrière-grand-mère Marie-Marguerite Gérard, a longtemps été appelé Kleen Ewaschwilla, en Platt. De nos jours, elle est couramment appelée Petit-Ebé.
Dans le Sud messin, en zone historiquement francophone, nous retrouvons le célèbre duo comique, au féminin : Pournoy-la-Grasse et Pournoy-la-Chétive. Pournoy est dérivé du latin prunus qui signifie prune. Si la première commune compte 700 habitants, la seconde en recense presqu’autant : 630. Mais les qualificatifs Grasse et Chétive, qui datent du Moyen-Age, seraient plutôt relatifs à la qualité des terres à labourer, tant il est vrai qu’une terre grasse est plus fertile qu’une terre qui ne l’est pas.
Nous nous pencherons, dans un prochain article, sur les haut et les bas de la toponymie mosellane.
Albert Weyland
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